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Jury citoyen en correctionnelle : coup d’éclat médiatique ou coup d’état anti-démocratique ?

C’est en passe de devenir le sujet à la mode : depuis le 31 décembre, le Président de la République a manifesté son intention d’accélérer la réforme de la justice et notamment de mettre en place rapidement les jurys citoyens auprès des tribunaux correctionnels. Les Inrocks en parlent, Maître Eolas critique (par la voix de Gascogne), les juges s’émeuvent, et tout le monde pointe les énormes difficultés techniques que supposent une telle mesure. Mais si l’on prend la peine de se pencher sur les pays où cette pratique existe déjà, d’autres effets encore plus pervers apparaissent, qui jusqu’à présent sont restés dans l’ombre.

Les jurys populaires généralisés sont en effet une illusion citoyenne, un péril démocratique : si ce système était mis en place, il faudrait ajouter aux 3500 jurys d’assise annuels plusieurs centaines de milliers de jurys correctionnels. Outre que budgétairement, ou même simplement temporellement, dans les limites des moyens financiers et humains de la justice actuels, ça ne peut pas marcher, il faudrait désigner annuellement plus d’un million de citoyens pour siéger dans des sessions pouvant durer plusieurs semaines dans les affaires complexes. D’après les études déjà anciennes que j’avais lu, 80% des jurés appelés aux USA ne défèrent pas à la convocation pour différents motifs légitimes, ce qui accroit encore les difficultés de la mesure. Plus près de chez nous, au Royaume Uni, c’est 60% d’abstention. Dans les grosses juridictions, un citoyen « normal », sans excuse particulière d’âge ou de dépendance, pourrait facilement se retrouver de corvée de jury presque annuellement.

Ce “jury duty” étant très pénalisant professionnellement et familialement, de nombreux citoyens l’évitent en refusant simplement de s’inscrire sur les listes électorales dans les pays où ils sont susceptibles d’être appelés en tant que jurés dans les juridictions inférieures.

Le double effet pervers de cette stratégie, c’est d’une part une composition des jurys déconnectée de la répartition socio-culturelle de la population, ce qui anéanti l’idée que la justice serait ainsi rendue de manière réellement représentative, et d’autre part une colossale abstention aux élections.

Or finalement, le corps électoral lui-même en devient biaisé, excluant de fait les jeunes et les actifs qui n’ont pas le luxe de pouvoir perdre plusieurs semaines de leur vie pour cause d’examens ou de travail salarié. Et l’on s’étonne ensuite de voir Bush réélu par une masse de rentiers terrorisés et de retraités paniqués !

Si cette mesure devait être instaurée chez nous, il fait peu de doutes que les effets seraient les mêmes. Il faudra un peu de temps pour constater les dégâts, mais une fois le processus engagé, il y aura une véritable dégénérescence démocratique, très probablement dans le sens d’un conservatisme accru, où de plus en plus d’inactifs décideront au mieux de leurs intérêts du sort des actifs sous-représentés politiquement.

La participation citoyenne brandie en étendard est un leurre. On ne peut trouver que deux intérêts à cette mesure, éventuellement cumulatifs selon les intentions que l’on prête à ses auteurs :

– C’est médiatiquement porteur, puisque selon les sondages, plus de 60% des personnes interrogées y sont favorables (mais ont-elles mesuré la charge que cela représenterait directement pour elles-mêmes ?)

– C’est politiquement un mécanisme sournois qui favorise automatiquement la représentation d’un électorat vieillissant plus susceptible de voter « à droite » au détriment des citoyens plus jeunes.

Mais dans tous les cas, au prétexte de renforcer la participation citoyenne à la justice, c’est la participation citoyenne à la vie politique que l’on réduit.

  1. 27 avril 2011 à 4:08

    Jurés minoritaires, jurés bidons !

    Pas de strapontins pour les jurés, la majorité !

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